Lageira, Jacinto
Les meurtres, crimes, tueries, assassinats de masse et en masse nous ont livré et continuent de livrer des millions de corps au regard comme preuve des faits commis. Pour donner un corps à regarder, il faut l’avoir : « que tu aies le corps » — ce qui est le sens de l'Habeas Corpus Act. À l’opposé, les négationnistes comprennent l’absence concrète des corps comme la preuve que tel fait n’a pas eu lieu, que le crime ou le génocide n’a pas été accompli. Présence et absence de corps sont des preuves en miroir, preuve reflétante qui se renverse à son tour, puisque l’absence des corps des républicains de la Guerre civile d’Espagne, des opposants aux dictatures militaires d’Argentine, du Chili ou du Brésil, ou des civils de la guerre en ex-Yougoslavie, sont la preuve qu’il y a bien mensonge, déni, occultation sur ce qui s’est passé et que l’on veut effacer des mémoires et, littéralement, de la géopolitique. À la preuve corporelle en chair et en os – désormais irréfutable par l’ADN des victimes – s’ajoute la preuve corporelle représentée, l’image en direct ou en différé attestant toujours que cela se déroule, que cela s’est bien passé. Même cela n’est pas certain. Les images peuvent jouer de la sur-preuve ou de la sous-preuve : c’est tellement criant de vérité que cela ne peut qu’être faux ; c’est si invraisemblable que cela ne peut qu’être vrai. Le même argument pouvant exactement s’inverser, les représentations ne seraient donc pas fiables par elles-mêmes et pour elles-mêmes, requérant ainsi une preuve corporelle concrète – le corps en chair et en os de l’habeas corpus – pour renforcer l’image qui en est diffusée.
Cette communication, enregistrée en audio, est maintenant disponible en ligne sur le site de l'Observatoire de l'Imaginaire Contemporain.